Duralex réalise une levée de fonds éclair de 5 millions d’euros et prouve l’attachement des Français à l’industrie locale

En à peine quelques heures, la verrerie Duralex a réussi son pari fou : lever 5 millions d’euros auprès du grand public pour financer sa transformation industrielle. Un succès fulgurant qui dépasse toutes les attentes et révèle l’engouement massif des citoyens français pour la préservation de leur patrimoine industriel.
Une mobilisation citoyenne sans précédent
Le lundi 3 novembre 2025, lorsque la plateforme de financement participatif Lita ouvre les réservations pour investir dans Duralex, personne n’anticipe un tel raz-de-marée. L’objectif initial de 5 millions d’euros, que l’entreprise espérait atteindre en quatre à six semaines, est bouclé en seulement six heures. Au bout de 48 heures, ce sont près de 20 millions d’euros d’intentions d’investissement qui affluent, soit quatre fois le montant recherché.
Plus de 21 000 personnes se sont manifestées pour soutenir l’emblématique verrerie orléanaise, avec un ticket moyen de 900 euros. Certains investisseurs sont même allés jusqu’à proposer 30 000 euros. Face à cet engouement dépassant toutes les prévisions, Duralex a dû plafonner les investissements à 1 000 euros par personne pour permettre au plus grand nombre de participer.
“Les Français ont répondu présent, et nous sommes ravis de la rapidité avec laquelle nous avons pu rassembler ces fonds. Cela démontre leur attachement à Duralex”, s’est réjoui François Marciano, le directeur général de l’entreprise. L’enthousiasme a même dépassé les frontières : les distributeurs de Duralex aux États-Unis et en Asie ont manifesté leur joie face à cette démonstration de soutien populaire.
Un modèle coopératif qui inspire confiance
Cette levée de fonds spectaculaire intervient un peu plus d’un an après le sauvetage inespéré de Duralex. En juillet 2024, alors que l’entreprise était placée en redressement judiciaire depuis avril, le tribunal de commerce d’Orléans a validé la reprise de la verrerie par ses propres salariés, sous forme de SCOP (Société Coopérative et Participative).
Ce modèle coopératif, où les salariés deviennent actionnaires majoritaires avec un droit de vote démocratique, a séduit 144 des 228 employés de l’époque, qui ont investi entre 500 et 2 000 euros de leurs économies personnelles. Chaque salarié-associé dispose d’une voix en assemblée générale, quel que soit son apport en capital. Un principe d’égalité qui tranche avec les pratiques managériales traditionnelles.
La Région Centre-Val de Loire a joué un rôle déterminant dans ce sauvetage, en mobilisant un fonds de garantie commun Région-BPI France, un Contrat d’Appui au Projet CAP SCOP de près de 60 000 euros, et en accordant un prêt d’un million d’euros à la coopérative. La métropole d’Orléans a également injecté 5 millions d’euros pour racheter le foncier de l’usine historique de La Chapelle-Saint-Mesmin.
Des investissements pour moderniser l’outil industriel
Les 5 millions d’euros collectés auprès des citoyens viendront compléter les 10 millions d’euros déjà sécurisés auprès de la Région et de plusieurs banques. Au total, Duralex estime avoir besoin de 17 millions d’euros d’investissements sur les trois prochaines années pour moderniser son appareil de production.
Les besoins sont criants : pendant trente ans, aucun investissement significatif n’a été réalisé dans l’usine. “Il n’y a par exemple pas d’eau potable sur le site, il faut aussi de l’argent pour remettre le site aux normes, pour augmenter la productivité et créer de la nouveauté”, explique François Marciano.
Concrètement, les fonds permettront d’acquérir une nouvelle machine de conditionnement, de développer de nouveaux moules pour élargir l’offre de produits, et d’améliorer la productivité ainsi que la sécurité des lignes de fabrication. L’objectif est clair : élargir la gamme, moderniser les collections, et créer une nouvelle ligne de production pour conquérir de nouveaux marchés, notamment dans la décoration et l’industrie agroalimentaire.
Une proposition d’investissement accessible mais risquée
La levée de fonds propose aux particuliers d’investir via des titres participatifs, un instrument financier hybride considéré comme des quasi-fonds propres pour l’entreprise. Le ticket d’entrée a été fixé à 100 euros minimum, avec une rémunération annuelle de 8% brute pendant 7 ans, soit quatre fois plus que le livret A.
Les investisseurs bénéficient également d’une réduction fiscale de 18% la première année, ce qui représente un avantage non négligeable. Cependant, ce placement comporte des risques importants : le remboursement du capital et des intérêts au bout de sept ans n’est pas garanti et dépend de l’évolution de l’activité de Duralex. Les investisseurs ne détiendront pas de capital de l’entreprise et n’auront pas de droit de vote en assemblée générale, mais auront accès aux comptes annuels et à un rapport semestriel sur la santé financière de la coopérative.
La levée de fonds officielle ouvrira courant novembre sur la plateforme Lita, agréée par l’Autorité des Marchés Financiers. Les investisseurs ayant réservé leur participation pourront alors confirmer leur engagement selon le principe du “premier arrivé, premier servi”, laissant potentiellement de nombreux candidats sur le carreau malgré leur volonté de soutenir l’entreprise.
Une trajectoire de redressement encourageante
Depuis la reprise en SCOP, les résultats de Duralex sont encourageants. Le chiffre d’affaires devrait atteindre 33 millions d’euros en 2025, contre seulement 24,6 millions d’euros en 2023 et 26,4 millions d’euros en 2024. L’entreprise vise un retour à l’équilibre financier d’ici 2027 avec un chiffre d’affaires de 35 millions d’euros, avant d’espérer atteindre 39 millions d’euros en 2030.
L’effectif est également en croissance : de 228 salariés lors de la reprise, 12 recrutements ont déjà été réalisé et un objectif de 300 salariés à l’horizon de deux ans. Parmi les nouveaux arrivants : des commerciaux et des responsables marketing, des fonctions essentielles qui n’étaient plus remplies depuis plus de trente ans.
“Depuis que nous sommes une SCOP, notre chiffre d’affaires a augmenté de 22% pour atteindre 32 millions d’euros”, souligne François Marciano. Cette dynamique s’accompagne d’importantes économies de consommables, les salariés étant plus responsables et vigilants puisque l’entreprise leur appartient.
Toutefois, le directeur général reste prudent : “L’entreprise n’est pas sauvée. Le plan est sur 3 ans. C’est-à-dire qu’en 2027, on arrivera à l’équilibre, on arrivera à s’autofinancer. Jusqu’en 2027, l’entreprise n’est pas sauvée”.
Une stratégie commerciale ambitieuse
Pour assurer sa pérennité, Duralex mise sur plusieurs axes de développement. La marque, qui célèbre ses 80 ans en 2025, capitalise sur son héritage et sa redécouverte par le grand public. Les produits Duralex, longtemps associés aux cantines scolaires, connaissent un retour en grâce spectaculaire, notamment les verres ambrés des années 1970 qui s’arrachent désormais sur les sites de vente en ligne et dans les brocantes.
La verrerie développe de nouveaux partenariats pour renforcer sa visibilité. En septembre 2024, Duralex a lancé une collaboration avec La Poste et la Région Centre-Val de Loire, parrainée par l’animateur Stéphane Bern. Un “pack spécial patrimoine” composé de 6 mugs colorés est proposé à 19,90 euros dans 151 bureaux de Poste de la région et via Colissimo dans toute la France. D’autres collaborations ont été annoncées avec l’Élysée, le chocolatier Sébastien Papion, et le fabricant de moutarde Martin-Pouret, qui proposera à partir de 2027 une gamme de moutardes dans des pots siglés Duralex.
La marque réoriente également sa stratégie vers une montée en gamme, avec de nouvelles teintes, une rationalisation des collections, et le développement de nouveaux produits pour conquérir des marchés comme la décoration. Le mix entre marché français et export, historiquement à 65% à l’international, a été rééquilibré à 50-50 pour pousser les ventes en France, avec l’objectif de revenir à 70-80% d’export à terme.
Les défis énergétiques et concurrentiels
Duralex reste confronté à des défis structurels majeurs. Le coût de l’énergie représente 25% des frais de l’entreprise, un poids considérable pour une activité verrière particulièrement énergivore. La crise énergétique de 2022, amplifiée par la guerre en Ukraine, avait durement frappé la verrerie, qui avait dû mettre son four en veille pendant cinq mois. Un prêt garanti par l’État de 15 millions d’euros avait alors permis de redémarrer l’activité en avril 2023.
L’entreprise fait également face à une concurrence déloyale avec des contrefaçons chinoises qui créent un déséquilibre sur les prix. Malgré ces obstacles, la direction reste confiante dans sa capacité à redresser durablement l’entreprise grâce au modèle coopératif et à la mobilisation collective.
Un symbole de réindustrialisation à la française
Le succès de la levée de fonds de Duralex dépasse largement le cadre d’une simple opération financière. Il témoigne d’une aspiration profonde des Français à soutenir leur industrie locale et leur patrimoine. “Dans les années 80, on avait 25% d’industrie en France. Il n’y en a plus que 9%. Les Français, ils n’en peuvent plus. Ils disent : ‘Il faut arrêter ça, il faut arrêter le massacre'”, analyse François Marciano.
Cette mobilisation citoyenne illustre également le potentiel du modèle coopératif pour relancer des entreprises industrielles en difficulté. Après des décennies de redressements judiciaires successifs et de reprises par des propriétaires peu scrupuleux, les salariés de Duralex ont pris leur destin en main. “Avant, La Maison française du verre aspirait une grande partie des bénéfices vers la maison-mère et ne laissait rien à Duralex. Avec la coopérative, on pourra décider collectivement des investissements à réaliser”, explique Maria, salariée au conditionnement.
Face au nombre record de défaillances d’entreprises en France (65 764 en 2024), le modèle des SCOP offre une alternative crédible pour préserver l’emploi et l’ancrage territorial. La Confédération générale des Scop et des Scic appelle d’ailleurs les pouvoirs publics à mieux soutenir ce type de projets, encore trop souvent pénalisés par un manque d’accès au financement.
L’histoire de Duralex montre qu’avec une vision claire, une gouvernance partagée et le soutien des collectivités territoriales, il est possible de transformer un fleuron industriel menacé en un modèle de résilience et d’innovation. Reste maintenant à concrétiser les ambitions de modernisation et de développement pour que les verres incassables de notre enfance traversent encore de nombreuses décennies. Comme le résume François Marciano : “On veut que Duralex soit encore là dans 100 ans”.


